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jeudi 8 mars 2012

Droit de la jeunesse: protection ou sanction ?



La réforme de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, qui était en chantier depuis le début de la législature, a récemment été adoptée, selon certains sous la pression d’une opinion publique émue par le meurtre de Joe Van Holsbeek.

Depuis le début des années 1990, deux conceptions s’affrontent. Faut-il conserver le système protectionnel en vigueur ou davantage, comme on le souhaite au nord du pays, axer les mesures sur un système sanctionnel ?

Après d’âpres négociations, la nouvelle loi a, sous réserves de certains durcissements, conservé la philosophie protectionnelle. Le principe est donc simple : les mineurs, quels que soient les actes qu’ils commettent, ne peuvent, en aucun cas, être assimilés aux majeurs et doivent bénéficier d’un système distinct fondé sur des mesures éducatives et non pas sur des peines répressives.

Le jeune âgé de moins de 18 ans n’ayant pas terminé son éducation, le système considère qu’il bénéficie d’une présomption irréfragable de non discernement faisant obstacle à ce qu’il puisse dépendre du droit pénal classique.

En d’autres termes, le droit protectionnel de la jeunesse impose de se départir des réflexes appartenant à la sphère du droit pénal (approche sanctionelle) pour entrer dans une philosophie de recherche de la solution la plus adéquate pour le jeune compte tenu des impératifs de la vie en société (approche protectionnelle).

A tout principe son exception. Le législateur a ainsi maintenu et même renforcé, dans certaines conditions relevant principalement du constat d’échec du modèle protectionnel, la possibilité pour un juge de décider qu’un jeune âgé de plus de 16 ans doit relever du système pénal applicable aux majeurs. Cette décision exceptionnelle est prise en audience publique, en présence du Ministère public, après que le magistrat se soit entouré d’avis permettant de l’éclairer sur le critère principal fondant sa décision : la personnalité du jeune.

A cet égard, la jurisprudence est claire, la gravité des faits, bien que pouvant éclairer le juge sur la personnalité du jeune, ne peut, à elle seule, fonder la décision de dessaisissement. Dans l’intervalle et tant que le tribunal n’a pas statué sur l’éventuel dessaisissement, le jeune reste soumis à la loi du 8 avril 1965 et échappe donc au système pénal traditionnel.

Ainsi, une décision de dessaisissement ne constitue qu’une exception qui, la plupart du temps, est l’aboutissement d’un parcours pouvant s’étaler sur plusieurs années.

Tout au long de la procédure, si le jeune se retrouve nécessairement toujours devant le même juge, son parcours procédural reste complexe.

Lorsqu’un mineur est interpellé suite à la commission d’une infraction, il peut, sur décision du Parquet, être privé de sa liberté pour une durée maximale de 24 heures. A l’instar de ce qui se fait en matière de détention préventive, passé ce délai, si aucune mesure privative de liberté n’est ordonnée par le Juge de la jeunesse, il doit être relâché.

Lors de cette phase dite provisoire, les mesures qui peuvent être prises doivent concilier les principes de présomption d’innocence et de protection de la sécurité publique.

C’est ainsi que des indices de culpabilité suffisent à justifier l’adoption d’une mesure provisoire. Le jeune qui conteste avoir commis les faits qui lui sont reprochés peut donc se voir imposer une mesure si le magistrat l’estime justifié.

La phase provisoire se terminera lorsque le jeune sera cité à comparaître en audience publique afin, d’une part, de statuer sur sa culpabilité et, d’autre part, de lui imposer une mesure qualifiée cette fois de définitive.

Qu’il s’agisse d’une mesure définitive ou provisoire, elle est toujours prise en fonction, non pas de la gravité des faits, mais de la personnalité du jeune qui en fait l’objet.
Parmi le panel des mesures mises à la disposition du Juge de la jeunesse, celle du placement en Institution publique de Protection de la Jeunesse (IPPJ) est réservée aux cas extrêmes, le législateur privilégiant le travail pédagogique à partir de la famille, milieu naturel du jeune. En communauté française, il existe 5 IPPJ dont un seul est réservé aux jeunes filles.

Hormis le cas d’un placement au centre de détention d’Everberg soumis à des conditions spécifiques, le magistrat devra, pour prendre une mesure de placement en IPPJ, avoir égard aux conditions suivantes :

- le mineur doit avoir commis un fait qualifié infraction ;
- le jeune doit avoir plus de 12 ans (sauf circonstances graves et exceptionnelles) ;
- il doit faire preuve d’une mauvaise conduite persistante ou d’un comportement dangereux.

Une fois ces conditions réunies, le magistrat dispose encore du choix d’intégrer le jeune dans les différentes sections existant au sein des IPPJ.

Il existe 4 sections :

• la section accueil : pour une période de 15 jours elle est destinée à mettre un coup d’arrêt à la délinquance et à aider le mineur à prendre conscience des conséquences de ses actes ;

• la section orientation : pour une période de 40 jours, son but est de permettre au jeune d’élaborer avec une équipe éducative pluridisciplinaire un projet d’avenir et est plus particulièrement axée sur les problématiques de décrochages scolaires ;

• la section éducation : de 3 à 6 mois selon les institutions. Cette hypothèse vise les placements qui, dans le cadre d’un régime ouvert, ont pour objectif de remédier en profondeur aux carences éducatives du jeune. Le jeune peut, dans certains cas, continuer à suivre une scolarité soit au départ de l’institution soit au sein de celle-ci ;

• La section fermée : le délai de base est de 3 mois mais peut être renouvelé. Il s’agit de la mesure qui est réservée aux cas exceptionnels et qui doit être motivée par des circonstances graves se rattachant aux exigences de la sécurité publique ou propres à la personnalité du jeune.

Tout placement, au-delà d’un impératif légitime de protection de la sécurité publique a, dans la philosophie protectionnelle de la loi du 8 avril 1965, nécessairement pour objectif la préparation d’un retour dans le milieu d’origine. Dans l’esprit de la loi mais également de la convention internationale des droits de l’enfant, le placement doit être une mesure de dernier recours qui doit être la plus courte possible et qui ne peut être envisagée que comme transitoire. Selon l’auteur de doctrine Thierry MOREAU cette option repose sur 3 raisons essentielles : aucune différence en terme de résultat n’a été constatée entre la méthode de placement et le traitement en milieu ouvert ; le placement a une influence négative sur les jeunes dont la vulnérabilité est grande ; la séparation du jeune de son milieu social habituel peut avoir des conséquences négatives en raison du manque de maturité du jeune.

Chaque section d’Institut Publique de Protection de la Jeunesse élabore un projet pédagogique en fonction des objectifs qui sont propres à sa section.

Compte tenu de la finalité du placement qui est la réintégration du jeune dans son milieu d’origine, le placement en IPPJ doit s’accompagner de mesures visant à, d’une part, pourvoir aux carences éducatives du jeune et, d’autre part, à le resocialiser. Un enfermement pur et simple quels que soient les faits commis est inconciliable avec la philosophie protectionnelle.

Il est donc non seulement possible mais souhaitable que le jeune, enfermé depuis une longue période, puisse, après avoir démontré qu’il en était capable, bénéficier de sorties qui sont autant de mesures éducatives que d’apprentissage de resocialisation. Dans ce cadre, la reprise d’un contact avec le monde extérieur peut passer aussi bien par une sortie en VTT, une après-midi en famille ou, même, un match de football.

Quelles que soient les circonstances, il faut donc pouvoir (faire) accepter que le système choisi par le législateur et en vigueur depuis un demi-siècle repose sur le principe que le mineur n’est pas un délinquant comme les autres. Ce système mise sur l’éducation plutôt que sur l’enfermement.

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